Alors que l'écrivain du dimanche peut avoir le syndrome de la page blanche, le téléspectateur (noté "Lambda") du jeudi est systématiquement foudroyé par une drôle de pathologie : le syndrome de la grille gerbante (noté "SGG", mais ça ne servira à rien pour la suite !). En effet, Lambda voulant se détendre après sa journée à la mine - où il travaille plus pour suffoquer plus -, il décide de se vomir dans son sofa Ikéa afin de profiter de son divertissement accessible non-stop : la télévision !
Comme tout bon parigot scrutant l'Officiel Des Spectacles avant d'aller s'embourgeoiser devant une version chinoise de Tchekhov, Lambda se lance dans une étude comparative des programmes cathodiques à l'aide de son magazine préféré où pour un euro il peut aussi bien avoir une connaissance superficielle des faits et gestes de la dernière i-conne à la mode que découvrir la recette du thon à l'allemande, aussi appelée "Merkelthunfisch". Et là, stupeur, tremblement et vision de Nothomb : quatre films déjà vus pour cause de rediffusionite aigu, deux télé-réalités où la somme des QI des participants ne dépasse pas la moyenne de leurs âges, cinq séries policières aux intrigues capillotractées, trois magazines d'investigations anxiogènes sur les problèmes en région parisienne, une telenovelas mexicaine mal doublée, des infos déprimantes en boucle et un dessin animé à traumatiser tchoupi !!!
Se pose alors le problème suivant. Lambda doit-il :
1) se résigner à mettre une chaîne au hasard pour avoir sa dose d'image quotidienne et mixer encore un peu plus sa matière grise d'homme lobotomisé du 21ème siècle ?
2) se mettre devant son ordinateur et taper "chute de mémé" sur Youtube (2900 résultats) afin de rire un bon coup et combler sa frustration d'Eudipe inversé ?
3) en profiter pour faire du tri dans les papiers asphyxiants ses étagères ?
Ce jeudi-là, en bon Lambda que je suis et ayant déjà eu ma dose de crème anti-ride renversée sur les trottoirs à cause du verglas, j'ai choisi la troisième solution, bien décidé à justifier ces envois spasmodiques de courriers dont nous abreuvent les banques, assurances et autres bûcherons par procuration. En terme de touillage de couteau dans la plaie béante de ma bonne volonté, je fus servi...
Sur une de mes feuilles d'impôts, juste en dessous de la taxe d'habitation, je découvre le décompte, déconfit : 123 euros de redevance audiovisuelle. Je m'arme de ma calculatrice préférée pour découvrir qu'en 60 ans de redevance, j'aurai payé 7380 euros pour, je cite Larousse, "un droit de propriété intellectuelle", l'équivalent de 1054 livres de poche, c'est à dire environ 5 étagères Billy laquées blanches bien remplies ! Dès lors, ma croisade fut lancée : ne plus payer cette taxe sur l'abêtissement de masse !!!
Pourquoi payer alors que je ne consomme pas ?! J'ai l'impression que toute la France a été manger au resto et que quelqu'un a décrété "on partage" sans me demander mon avis... Mais je veux faire le détail, moi ?! Ce fameux dimanche soir où je suis allé au lit pour copuler tranquillement alors que mon voisin était en pleine Grande Vadrouille ?! Et ce samedi midi où je suis resté bloqué sur la nationale pour cause de travaux, loupant mon émission animalière préférée alors que ma nièce s'enfilait trois épisodes de La Petite Maison dans la Prairie ?! Personne n'a voulu partager mes derniers impôts sur le revenu, alors je ne veux rien débourser pour Michel Drucker !!!
Ni une, ni deux, ni même trois, c'est vous dire ma réactivité, j'ai débranché l'antenne de ma télévision, me condamnant à la liberté suprême de ne plus regarder que mes DVD. Ce fut l'Acte de rébellion de ma journée si on ne compte pas mon non-remplacement du papier toilette triple épaisseur dans mes WC. Il ne restait plus qu'à avertir les pouvoirs publiques (au sujet de la TV, pas du PQ, OK ?!).
J'ai donc appelé mon centre des impôts pour leur apprendre la nouvelle, tombant sur un employé aussi dubitatif que j'étais enthousiaste. S'en suivit une discussion passionnante sur le Tuner de mon appareil et donc sur la possibilité de pouvoir recevoir un signal qui m'obligeait à payer la redevance, un peu comme si je devais m'acquitter d'un PV pour mauvais stationnement car j'avais la possibilité de me garer devant ce beau panneau bleu et rouge sous-titré, pour les ignares décodés, d'un "interdit de stationner" pourtant clair. Il fallait donc que je me débarrasse de ma TV 16/9ème indispensable à la lecture des sous-titrages pour me contenter de mon écran d'ordinateur capable, j'en suis sûr, de me décoller la rétine en peu de temps ! Impossible !!! Après tout, personne ne peut m'accuser de regarder la TV sans preuve !! Je peux avoir un couteau chez moi sans avoir poignardé ma voisine, non ?!
Ainsi, j'ai vécu de la sorte, m'astreignant à ne jamais rebrancher mon antenne, n'étant plus du tout au courant des bêtises inutiles à la mode, incapable de dire si Julien Lepers présentait toujours QPUC... jusqu'au jour où j'ai été contrôlé, la seule présence de mon poste me valant 150 euros d'amende, sans même pouvoir justifier que je ne savais plus où en était Loana !!
Ainsi, j'ai pu payer 27 euros le droit de ne pas regarder ma télévision : n'est-ce pas un luxe ?!